Bébé sait-il compter ?

Bébé sait compter

Les bébés savent-ils compter ? La question est simple. De là à pouvoir en apporter la preuve formelle par l’expérimentation, voilà qui conduit les chercheurs à couper les cheveux en quatre.

Boulier chinois pour berceaux

Voici un beau défi pour les chercheurs : construire un protocole de recherche qui permette d’établir une fois pour toutes si oui ou non les bébés savent compter. Si vous vous dites « C’est drôlement simple comme question, depuis le temps que les chercheurs mesurent des trucs compliqués, ils devraient avoir réglé cette affaire-ci en deux temps, trois mouvements ! » Détrompez-vous et tentez donc l’expérience vous-mêmes, vous verrez que ce n’est pas si simple. Un vrai casse tête chinois…

La bonne question

J’en vois un qui lève la main… « C’est évident qu’ils savent pas compter. Y a qu’à prendre un bébé et lui demander combien ça fait racine carrée de 4012. Au mieux il dit « aga aga », au pire, il s’endort. CQFD. »
Bien. Vous voyez déjà qu’avant d’entamer l’expérience, il faut s’entendre sur une chose : qu’est-ce qu’on entend par « savoir compter » ? (et qu’est-ce qu’on peut raisonnablement attendre d’un bébé ?)
J’en vois un autre qui lève la main. « Ben… pour un bébé, c’est faire la différence entre un, deux, trois, quatre, cinq ? » Voilà qui est plus raisonnable, et qui nous conduit à cette deuxième question : comment le bébé peut-il nous dire qu’il fait la différence entre un, deux, trois, quatre et cinq… Ha ! la colle…

Le calcul par les yeux

Non, le bébé à qui l’on montre deux puis trois objets ne va pas lever deux puis trois petits doigts pour nous donner sa réponse. Le bébé regarde les deux objets, puis les trois objets, et c’est déjà pas mal. Voilà pourquoi les chercheurs qui se sont penchés sur la question doivent se contenter d’observer le regard du bébé pour savoir s’il fait la différence entre deux et trois objets.
Alors, dans toutes les universités du monde, voici comment on procède : on prend un bébé, on lui montre deux petits canards, on les cache, on lui montre, on les cache, on lui montre, on les cache, on lui montre… jusqu’à ce qu’il en ait ras-la-tétine et qu’il cesse de regarder. Et puis là, toc, on lui montre trois canards d’un coup, et il regarde attentivement, preuve qu’il a bien vu la différence.

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Des carrés colorés mais sans racine

Oui, mais… « Ce que ce genre d’expérience démontre, c’est que le bébé est sensible au changement, note Kelly Mix, chercheuse à l’Université de l’Indiana, et non qu’il sait compter« . Car compter c’est non seulement constater qu’il y a une différence entre deux et trois, mais aussi, par exemple, que deux est égal à deux fois un, ou que trois est égal à deux plus la moitié de deux… Or, d’après Kelly Mix, il est fort probable que la capacité du bébé à distinguer trois canards de deux canards n’ait rien à voir avec sa connaissance des nombres mais plutôt avec sa perception des contours (sont-ils plus étendus ou moins étendus dans son champ de vision ?). Quand on présente trois canards au bébé, il constate tout d’un coup qu’il y a « plus de canards » dans son champ de vision, mais rien ne prouve qu’il les compte.
D’où l’expérience tentée par Kelly Mix et sa collègue Melissa Clearfield : elles projettent à plusieurs bébés l’image de deux carrés. Puis elles leur montrent, au choix, trois carrés de la même taille (occupant donc plus de place dans leur champ de vision), ou deux carrés plus gros (occupant la même taille dans leur champ de vision que les trois carrés réunis). Eh bien, au lieu de regarder plus longtemps les trois petits carrés (manifestant ainsi qu’ils sont sensibles à la différence de nombre), les bébés regardent plus longtemps les deux gros carrés. Ils seraient donc davantage sensibles à la différence de taille qu’à la différence de nombre…
Conclusion ? Racine carrée de 4012 = 63.34, mais pour les bébés, on verra plus tard.

Au-delà du regard : implications pour le développement précoce

Les observations sur le regard des nourrissons ouvrent des pistes, mais elles n’épuisent pas le sujet : la question rejoint des enjeux de neurodéveloppement et de cognition précoce. Plutôt que de se limiter à la distinction visuelle entre plus et moins, les équipes explorent aujourd’hui des marqueurs comme la subitisation (capacité à reconnaître instantanément de petites quantités), l’estimation approximative et la mémoire de travail naissante, en les croisant avec des indicateurs neurophysiologiques (pupillométrie, électroencéphalographie) et des paradigmes multisensoriels. Ces approches permettent d’évaluer si un nourrisson possède un accès rudimentaire à un « sens du nombre » indépendant de la surface ou du contour. Le recours au traitement statistique des réponses perceptives et à des tâches auditives ou tactiles aide aussi à dissocier traitement numérique et traitement spatial, et révèle la contribution de la neuroplasticité et des modalités multisensorielles au façonnage des compétences numériques précoces.

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Sur le plan pratique, ces nouvelles perspectives ont des implications pour le dépistage précoce et l’accompagnement éducatif : repérer des trajectoires atypiques permet d’envisager des stratégies d’intervention précoce basées sur le jeu, la répétition rythmique et la stimulation multimodale plutôt que sur des exercices verbaux abstraits. Pour les professionnels de santé et les parents en quête d’informations vulgarisées, consulter des ressources spécialisées reste utile ; par exemple, le mag en ligne Convergence Infirmière propose des articles qui synthétisent ces avancées et orientent vers des pratiques adaptées au jeune enfant. À terme, combiner méthodes comportementales et mesures cérébrales offrira un panorama plus complet du développement des compétences numériques chez le tout-petit.